Le Gué De L’ange
LA COUTURE VAUDOU – Rédigé par Jane Hervé
Les tableaux textiles de Barbara d’Antuono sont des tableaux vivants. Ils ne ressemblent en rien aux tableaux ordinaires, si figés dans la peinture et la forme. Sous nos yeux, l’artiste en couture récupère les bouts d’étoffe, découpe dans les couleurs les formes qu’elles lui inspirent. Le monde entier lui parle : les arbres, les volcans, les animaux, les astres soleil et lune, les esprits, Dieu chrétien et ses diables, les morts enfin. Tout interagit avec tout. Tout se met en branle avec tout, comme si la vie recommençait à chaque fois dans et sur le tissu, dans et avec la couleur. Barbara entre en gestation sur le vif, devant nous, créant des « bandes cousues » tout en se laissant porter par l’émotion et par ses « pensées chaotiques ». Elle fait ainsi « naître sous ses doigts un monde jubilatoire et onirique ».
Son œuvre est au-delà du simple travail, du ciseau qui coupe, de l’aiguille qui pénètre le tissu puis s’en extirpe. Ravaudeuse magique, Barbara d’Antunéo capte en elle tout l’art d’Haïti, travaillant à la façon des peintres de cette île artiste « où la création fait partie de la vie des gens ». Sous les points de couture percent et émergent des chants insolites et mêlés. On entend les lamentations de Cesare Evora du Haïti chérie de Stevy Mahy. On entend les tambours vaudous hallucinés qui captent les esprits et les corps, espérant vaincre la mort car les morts de l’artiste se marient, monologuent et vivent encore parmi les hommes. Ils sont libres.
« Coudre, c’est très thérapeutique », confie cette couturière mystique d’origine italienne, qui tisse des liens entre la vie et la mort , migrant dans l’art de l’Europe vers les Caraïbes. Un poète haïtien Kevin Pierre relie cette créatrice à son monde dans l’ouvrage Esprits vagabonds qui paraît ce mois aux éditions si novatrices L’œil de la femme à barbe.
Jane Hervé