IN/CORSICA

Magazine n°67
Constant Sbraggia

Pénélope ou Parque des temps modernes, Barbara d’Antuono coud à la main comme d’autres récitent des mantras et ne décide rien à l’avance. Elle laisse surgir des images sans cohérence particulière les unes avec les autres, mais auxquelles elle donne corps dans une sorte d’urgence, sous la forme d’une bande non pas dessinée mais cousue.

L’exposition, tout comme le livre éponyme, parcourt sept années de ce travail assidu et patient à travers près de 30 oeuvres textiles, véritables arrêts sur image faits des émotions et des souvenirs de l’artiste, comme autant de portraits de l’humanité. Sa rencontre en Haïti avec le Baron Samedi et la mythologie liée au vaudou, ainsi que les éclaboussures traumatiques du coup d’état de 1986 et des exactions dont elle a été témoin, l’ont précipitée dans cette nécessité de dire l’indicible. Globe-flotter, elle nourrit son travail de ses voyages, notamment en Afrique où elle retrouve le vaudou, et sur les pentes de tous les volcans du monde. Créatrice d’imaginaire, elle fait ainsi naître sous ses doigts un monde jubilatoire, onirique, ironique, carnavalesque et parfois naïf. Imprégnée de ce savoureux mélange, toute son oeuvre se condense dans un syncrétisme baroque flamboyant, où l’humour n’est jamais loin et Haïti toujours présent. Dans le livre, le jeune auteur, haïtien Kevin Pierre pose sur ces images intemporelles les mots poétiques d’un engagement contemporain pour la dignité de son pays. Leur échange de fils et de mots parle des choses de la vie et de la mort, du vaudou ancestral et des difficultés d’aujourd’hui. Pour restituer au lecteur la puissance évocatrice de la langue de l’auteur, les textes sont proposés en version bilingue français/créole haïtien. 

Esprits vagabonds
Éditions L’oeil de la femme à barbe

Flash Cadillac, etc.

C’est peut-être une coïncidence ? Barbara d’Antuono débarque à Ajaccio en 1968. Elle fréquente le lycée Laetitia Bonaparte, jusqu’en classe de seconde, et poursuit sa scolarité au lycée Fesch. L’adolescente appartient à la mouvance rock de ces années 70—80, ce qui lui vaut d’être assez populaire, elle qui est la seule fille à faire de la scène « avec des garçons survoltés » ! Son groupe s’appelle « Flash Cadillac », Éric Bonavita en est le leader, elle est la chanteuse. « À l’époque, se souvient-elle, nous répétions dans des locaux désaffectés de la Route des Sanguinaires, face au Scudo, la propriété de Tino Rossi ; locaux qu’aurait dû investir la station locale de FR3 mais dont elle ne prendra jamais possession. » Un film, « Sale tête de gamin » de Serge Bonavita, retrace la scène rock de l’époque. Barbara témoigne : « Le rock était marginal, du coup nous formions une grande famille au sein de laquelle se greffaient des jeunes de passage. Il y avait un bel échange avec Bastia. On jouait partout où c’était possible. » Elle clôture une époque: « C’est loin, tout ça… C’était le temps de la grande épopée du rock en Corse. j’étais jeune et turbulente, aujourd’hui je le suis toujours, turbulente, mais dans la tête. » 

Barbara D’Antuono quitte la Corse, en 1981, pour les Antilles où elle va séjourner 5 ans. Et où elle s’initie, ce qui est fondamental, à la peinture. Retour en Corse en 1986. «C’est à ce moment-là que j’ai décidé de m’investir dans l’art, d’en faire mon métier. » Deux années plus tard, elle choisit de s’installer à Paris.

On se souvient de son exposition à la librairie-galerie La Marge d’Ajaccio. C‘était en 2000. La Corse découvrait cette fois la plasticienne. 

C.S.